Nous avons demandé à Jean-Paul Picaper une contribution pour nous faire mieux comprendre ce qui a conduit à la guerre en Ukraine menée par Poutine. Jean-Paul a accepté immédiatement. Son épouse Monique nous a transmis hier, dans la matinée, cet article très complet. Merci à tous les deux. Nous connaissons et partageons leurs inquiétudes concernant bon nombre d’amis qu’ils comptent en Ukraine et notamment des jeunes qui participent à la vie de leur association. Ici à Saint Sauveur de Peyre nous sommes aussi toujours sans nouvelles de Marina. Plusieurs appels téléphoniques passés hier mais sans résultat. Comme nous vous l’indiquions avant hier (vendredi) Marina était sur le point de nous rejoindre. Bernard Bastide avait accepté de la recruter pour la saison estivale à Nasbinals. Merci encore Jean-Paul pour cet article :
L’assassinat d’une nation
Plus grand pays en km2 du continent européen après la Russie, grenier à blé et à colza de l’Europe, doté d’un sous-sol riche en minerais et hydrocarbures, l’Ukraine est, sur la carte, le cœur géographique du continent européen. Et sa population de 44 millions d’habitants est instruite, artisane, sa jeunesse nombreuse ouverte et libre, douée pour les langues étrangères. Qui tient l’Ukraine, tient l’Europe. Vladimir Poutine n’est pas le premier à convoiter l’Ukraine. Or, sa population en majorité pro-occidentale la faisait pencher vers l’Ouest. La minorité russophone, présumée « prorusse », à l’Est du pays, ne pèse pas assez pour ancrer tout le pays à la Russie. D’ailleurs, des « prorusses » des territoires du Donbass que Poutine s’était appropriés à l’Est, commençaient à émigrer vers l’Ouest du pays où le niveau de vie est déjà plus élevé.
Soumise à des influences et prédateurs divers, l’Ukraine n’avait jamais réussi à devenir une vraie nation. Elle a franchi ce pas après l’effondrement de l’URSS le 31 décembre 1990, obtenant l’indépendance le 24 août 1991 avec l’accord de Moscou, confirmée par référendum le 1er décembre suivant avec 90,5 % de « oui ». Distincte depuis des siècles de la Russie parce que plus occidentalisée, y compris en religion, moins marquée au Moyen-Âge que la Russie par l’invasion mongole et dotée d’une langue proche du russe mais officiellement différente depuis la fin du 19ème siècle, l’identité ukrainienne était devenue pour la première fois dans son histoire un État authentique avec son drapeau, son hymne, ses institutions démocratiques et le patriotisme de ses citoyens. Tout cela déplaisait à Poutine. Il a pris le risque d’absorber l’Ukraine à la barbe des Occidentaux qu’il méprise, pour l’intégrer dans sa Grande Autocratie.
Pourquoi a-t-il attaqué l’Ukraine ?
« Parce qu’il le peut », répond Carlo Masala, professeur à l’université de l’armée allemande à Munich. L’ogre glacial du Kremlin se savait dans l’impunité depuis que la France et l’Allemagne ont demandé en 2008 aux États-Unis de différer l’admission de l’Ukraine dans l’OTAN « pour ménager la Russie »… Quelle erreur fatale ! C’est de cette année-là que date la montée en puissance de la chose militaire qui a plongé la population russe dans la misère. Poutine a eu quatorze ans pour se préparer et tester sa puissance de feu en Syrie. Maintenant il menace de l’arme nucléaire tout dépassement de la ligne otanienne actuelle. Et somme Finlande et Suède de rester hors OTAN. C’est-à-dire envahissables. Il a fait le vide autour de lui. Nul ne sait jusqu’où il peut aller.
Son autre objectif était d’empêcher l’Ukraine d’être une nation. La Russie néostalinienne n’aime pas qu’on s’autodétermine sans son consentement. Qualifiés de « cyniques » par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, les arguments du solitaire du Kremlin pour réduire l’Ukraine à néant, étaient particulièrement blessants. Il a tout simplement nié l’existence de ce pays et donc de ses citoyens Un acte de déshumanisation par les mots. Quand les Lozériens avaient demandé en août 2007à Otto de Habsbourg ce qu’était Poutine, le député européen avait répondu : « Un bureaucrate sauvage ».
Le « sauvage » a dit vouloir libérer l’Ukraine de « la militarisation et des nazis » en visant l’homme qu’il hait le plus, le jeune président d’Ukraine Volodymir Zelensky. Des insultes impardonnables. Car Zelensky est d’origine juive. Son grand-père a fait la guerre contre les nazis dans les rangs de l’armée soviétique. Trois frères du grand-père ont été assassinés comme juifs par les nazis. Cela stimule Zelensky qui a appelé tous les hommes d’Ukraine et les volontaires d’Europe à prendre les armes contre le génocideur. Ami d’Emmanuel Macron, acclamé par les hommes et femmes d’État du monde libre, Zelensky se comporte en héros. Cet ancien humoriste et acteur, mais juriste anti-corruption comme Alexeï Navalny en Russie, est devenu un chef prestigieux.
Les Ukrainiens émigrés ou restés au pays ne pardonneront pas les tirs ciblés de Poutine sur la population civile. Militarisés, ils ne l’étaient pas. Pas assez encore. Mais depuis des semaines, tous, professeurs, étudiants, artisans, ouvriers et paysans, filles et garçons, se sont exercés au maniement des armes. La victoire de Poutine sera fragile. Il guettera des fenêtres du Kremlin les fumeroles du cratère ukrainien qui retiendra un gros contingent de l’armée russe avec un coût élevé dans une instabilité permanente. Car la Résistance va s’installer. Elle aura des amis partout dans le monde. L’expérience montre que la victoire est souvent plus facile que le « maintien de l’ordre » dans un pays asservi. Le fils de notre hôte de 2007, Karl de Habsbourg, président du Mouvement Paneuropéen, vient de publier à Vienne un communiqué réclamant la mise en accusation de Poutine par la Cour pénale internationale de la Haye pour génocide et crimes de guerre.
Jean-Paul Picaper